Camille Denagiscarde* dans un article au style tranchant, nous relate sa chronique d’une mort annoncée des CCI, victimes de la pensée unique d’un monde politico-administratif qui rejette une institution au motif qu’elle ne lui ressemble pas. L’analyse très fine de la situation laisse entrevoir, toutefois, une faible lueur d’espoir.

Nous vous laissons prendre connaissance de ce texte très utile à la compréhension de l’engrenage législatif qui continue de broyer ce qui reste du monde consulaire, favorisé hélas par le mutisme de ses élus.

 

* Camille Denagiscarde, président du syndicat des directeurs généraux des chambres de commerce et d’industrie est l’ancien Directeur Général de la CCI de Tarbes Hautes Pyrénées. Il a également été président de l’Association des directeurs généraux de CCI.

CCI : « On assiste à un grand écart, combinant une administration plus étatisée à une exploitation plus privatisée. »

                                                                         également publié dans Le Monde du 6 juillet 2021    
 
Lorsqu’en 1802 le consulat de Bonaparte rétablit l’existence des chambres de commerce, supprimées pendant la Révolution pour dérives corporatistes, il les charge d’éclairer les pouvoirs publics sur les affaires du commerce et de se doter de services utiles à sa prospérité. Durant plus de deux siècles, cette institution, organisée sur le modèle communal, s’est acquittée de sa tâche avec succès, portant la voix des entrepreneurs, conseillant les décideurs territoriaux et exploitant des écoles consacrées aux affaires ou des équipements indispensables à la vie économique.

Au point de voir son modèle décliné pour les secteurs des métiers et de l’agriculture. A raison d’au moins une chambre par département, chaque bassin économique se voyait doter d’un tel outil, formant un réseau régional puis national, l’échelon local restant la structure de base irremplaçable, autofinancée par une modeste fiscalité additionnelle. La loi de 2010 sur les réseaux consulaires a asséné un premier coup de boutoir, que l’on pourrait qualifier, paradoxalement, de néo-bonapartiste.

Adossée à la Révision générale des politiques publiques (RGPD), instaurée par Nicolas Sarkozy et surfant sur la montée en puissance du fait régional, cette loi a en effet instauré une architecture descendante inédite, y compris pour la désignation des instances de décision. L’échelon local, dépossédé de toute ressource fiscale et de personnel propre, a dû se plier à une stratégie régionale encadrée par les préfets.

 

« Une reprise en main d’inspiration jacobine »

L’inspiration jacobine de cette reprise en main, aboutissant à transposer le modèle étatique sur un réseau jugé trop prospère et indépendant, était manifeste. Au nom d’une mutualisation érigée en système, des « conventions d’objectifs et de moyens » ainsi que des « contrats de performance » sont venus expliquer aux responsables élus de ces structures quel usage vertueux faire de leurs fonds, lesquels ne provenaient pourtant pas de dotations budgétaires publiques, mais d’une taxe prélevée sur les entreprises !

Pire ; l’Etat s’est payé sur la bête durant le mandat de François Hollande, en prélevant 500 millions d’euros en 2015 sur les réserves d’un réseau coupable de trop bien savoir tenir ses comptes. Le gouvernement actuel, tout en lui assignant une multitude d’objectifs, a poursuivi cet assèchement du réseau, qui en cumulé s’est retrouvé privé de 80 % de ses ressources fiscales.

Prompts à courber l’échine devant un pouvoir exécutif tout-puissant, les responsables du réseau de chambres consulaires, maniant un impôt de production impopulaire auprès de leurs mandants, se sont soumis de bonne grâce à ce régime, y voyant une planche de salut en même temps que l’aubaine d’une prise de pouvoir interne selon la loi du plus fort.


« Un renforcement de la tutelle étatique »

La réduction législative du nombre de régions, en 2015, a naturellement amplifié, pour les chambres qui ont fait l’objet de fusions, leur éloignement du terrain et la standardisation de leur modèle, réduisant à quasi-néant leur vocation de corps intermédiaire.

Le deuxième coup de boutoir législatif néo-bonapartiste a été porté par la loi de 2019 relative au Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte), chère à Emmanuel Macron. La loi est venue ajouter à une tutelle étatique renforcée comme jamais une curatelle interne de l’échelon national : CCI France est devenu le seul affectataire et répartiteur de l’aumône fiscale consacrée au réseau.

Mieux : dans une construction législative des plus baroques, tous les nouveaux agents – directeurs compris – de ces établissements publics administratifs de l’Etat sont désormais des agents de droit privé régis par une convention collective. On en perd son latin !

 

« La gestion de la pénurie »

Déconnecté du terrain, le réseau des CCI ne gère plus que la pénurie, donnant la mesure de ses talents en recherchant désormais sur des clients solvables ou captifs les moyens de pallier la disparition programmée des ressources fiscales propres.

On assiste ainsi à un grand écart singulier, combinant une administration toujours plus étatisée à une exploitation toujours plus privatisée.

Logiquement, ce sont tant l’Inspection générale des finances que la Cour des comptes qui désormais en viennent à interroger le maintien d’un statut d’établissement public pour les établissements de ce réseau disposant encore d’une personnalité morale, dernière entrave à une privatisation en marche. La disparition de ce statut signerait le traitement final du malade consulaire, qui mourrait assurément guéri de tous ses maux…

 

« Un rattachement souhaité avec les régions »

Dépouillée de la gestion directe de ports, d’aéroports, d’écoles et de centres de formation, concurrencée par les organisations patronales dans sa mission de représentation, par les collectivités territoriales dans celle d’appui au développement et par les prestataires privés pour celle de conseil, l’institution consulaire bonapartiste vit paradoxalement un crépuscule néo-bonapartiste, à rebours de son ADN.

Seule une approche territorialisée de cet outil multiséculaire permettrait d’en réhabiliter l’intérêt et d’en restaurer l’avenir, en déconnectant les chambres de l’Etat pour les rattacher aux régions, qui exercent la plénitude des compétences correspondant à leurs domaines d’intervention.

Mais les régions sont peu pressées de récupérer la tutelle : les chambres consulaires, à défaut de faire envie, en viennent plutôt à faire pitié, et leurs dirigeants redoutent de se voir pris en otage politique par les régions. Comme si la tutelle gouvernementale n’était pas elle aussi politique…

 

« Demande de soutien au Parlement »

La future discussion parlementaire sur le projet de loi « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification), lequel avait été présenté en mai au conseil des ministres, pourrait redonner du sens à une institution de proximité dont la disparition serait hautement dommageable pour les territoires, en proposant le rattachement des chambres consulaires aux régions.

Aucun gouvernement ne voudra entreprendre de soins autres que palliatifs pour cette vénérable institution. Seul le Parlement pourrait – et devrait –, à l’initiative légitime du Sénat, reprendre la main au nom de la biodiversité institutionnelle et de l’efficacité territoriale.

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